dimanche 29 septembre 2013

Dolores, une escort à part.

La prostitution offre aujourd'hui un double visage. D'un côté, il y a le fantasme entretenu par les médias et notamment l'audiovisuel à travers le film de François Ozon, Jeune et jolie ou encore les séries journal intime d'une call girl et Hung. Zahia Dehar, par sa médiatisation, a aussi contribué à nourrir ce fantasme et à présenter une prostitution de luxe, de paillettes. A contrario, la prostitution concerne aussi des jeunes femmes, qui pour payer leurs études et « joindre les deux bouts », consentent à des relations sexuelles tarifées. La prostitution dans la rue (aux alentours des gares ou aux abords des grands axes routiers) reste la forme la plus visible et aussi celle « offrant » les pires conditions d'hygiène.
Cet article n'évoquera aucune des deux facettes susmentionnées et s'attachera à décrire un cas très particulier.
Après un premier contact difficile sur un site de chat à la faune bien étrange et beaucoup de réticences de la part de mon interlocutrice, je réussis à force d'argumentations basées sur la confiance et l'absence d'ambiguïté à obtenir d'elle la promesse d'un entretien. S'ensuivit alors une longue attente qui ne fit qu'attiser ma curiosité. Une question, presque triviale, ne cesse de trotter dans mon esprit. A quoi peut bien ressembler une escorte classe de 45 ans ? Cette attente d'une dizaine de jours fait naître le doute. Ne va elle pas se désister finalement ?
Le matin du 12 septembre, je reçois enfin un mail me donnant rendez-vous pour déjeuner dans un centre commercial de Poitiers avec comme seule indication vestimentaire : un tailleur bordeaux. C'est plutôt maigre. Arrivé au Rendez-vous une demie-heure à l'avance, je me surprends à scruter les femmes et surtout leur toilette mais toujours pas de tailleur en vue. Enfin, je vois une femme qui semble chercher quelqu'un, elle est jolie et paraît plutôt bien conservée pour son âge. Elle regarde à droite, à gauche pendant un moment et alors que je m'apprête à l'aborder, son copain la rejoint. Dans le doute, il est bon de s'abstenir !
Finalement, Dolores (son pseudo d'escorte) apparaît dans son tailleur (bordeaux il va de soi) et après les salutations d'usage, nous prenons place pour commencer l'entretien. D'emblée, elle m’apparaît comme une femme coquette sans être tape à l’œil toutefois. Indubitablement sensuelle et dans la séduction. J'allume le micro et lui explique ma façon de faire. Pas de questions de ma part, je la laisse s'exprimer en lui demandant juste de parler d'elle. Je sais, par expérience, que notre échange à bâtons rompus sera plus riche qu'un simple question/réponse. Dolores se définit alors comme une femme plutôt libérée sans pratiquer le libertinage ou le sexe pluriel pour autant. Professionnellement, elle occupe un emploi de commerciale. Célibataire, elle a décidé de ne plus avoir d'amants à la suite d'une déception amoureuse, conséquence d'une relation ambiguë, peu claire dans laquelle elle s'est sentie trahie.
Après trois mois de réflexion, elle a décidé de se lancer dans l'escorting qu'elle pratique a peu ou prou depuis six mois maintenant. Avant de pousser plus avant notre réflexion sur la place de Dolores dans cet univers, il convient de mieux le cerner. Mon interlocutrice a en fait un parcours de vie identique à beaucoup d'autres femmes.
Après une première relation de trois ans durant laquelle elle a découvert le sexe (à 15 ans), Dolores a été marié une quinzaine d'années et a eu un fils. Dotée d'un charisme naturel (du fait de sa profession), elle a le sentiment que son personnage de Dolores (son Alter-ego?) lui apporte plus d'assurance et la rassure par rapport à son âge. Lorsqu'elle est en rendez-vous, elle est plus sensuelle, plus femme et elle a tendance à être encore plus séductrice, féline.
Sa volonté de se lancer dans l'escorting a été motivé par l'envie de continuer à avoir des relations sexuelles sans pour autant s'attacher. De fait, elle juge que la rémunération (100 euros/H) est une barrière efficace contre les sentiments même si elle avoue pouvoir être touché par un de ses clients. Ces derniers sont des hommes de 40 à 55 ans (à de rares exceptions près), mariés qu'elle rencontre sur des sites de chat. Ils bénéficient généralement d'un bon statut social et sont commerciaux, artisans, banquiers ou avocats. Et, si Dolores n'a eu que 12 clients jusque là (à raison de 3 rendez-vous mensuel), c'est parce qu'elle opère un tri rigoureux. Elle refusera systématiquement un rendez-vous uniquement pour une fellation et cherche une réelle réciprocité, se définissant d'ailleurs comme une « amie/amante ». Sur les chat, elle n'aborde jamais les hommes et ne répond pas quand le simple « bonjour » n'est pas de rigueur. Dolores voit dans les formules de politesse une connotation de respect qui lui donne une première indication sur la personne avec qui elle discute. De fait, elle est très attentive à la tenue des phrases, au vocabulaire employé ce qui lui permet de dégager un « profil » d'autant plus que l'écriture dénote d'un certain niveau intellectuel.
Une fois le contact établi, celui-ci est approfondi par mails par le biais desquels Dolores et le client potentiel échangent des photos. Elle l'informe alors sur ses exigences (rapports protégés en toutes circonstances) et ses pratiques (l'anal et les déviances sont proscrits).
Mis à part un début un peu maladroit (rencontre dans une voiture) , le rendez-vous est fixé dans un hôtel et plus rarement chez le client (seulement à deux reprises) entre midi et 18 heures, moment le plus opportun pour un homme marié afin de s'absenter de son lieu de travail. Elle privilégie d'ailleurs les hommes déjà engagés tout d'abord car ils sont liés par un secret mutuel, une sorte de tabou mais aussi parce qu'ils seront moins enclins au harcèlement et pour leur disponibilité. Lors de l'acte sexuel, elle laisse le client prendre l'initiative pour ne pas le frustrer dans son plaisir. Le plaisir de l'un comme de l'autre représente ce qu'il y a de plus important pour Dolores lors de l'acte, et, si elle veillera à ce que son client prenne le sien, elle n'hésitera pas à se satisfaire soi-même, si elle n'a pas joui avant.
Parfois, elle reçoit des demandes particulières en terme de lingerie (bas, porte-jarretelles de différentes couleurs) et Dolores, en amatrice de dessous féminins (string et boxer d'une marque locale bien connue) s'y plie volontiers. D'un point de vue purement sexuel, elle admet prendre beaucoup plus de plaisir ainsi. Tout d'abord car la routine est moins présente mais aussi car la découverte de l'autre et le jeu de séduction apportent du piment à l'acte. Étonnamment, le client semble apprécier la domination de Dolores dans la mesure où la position la plus récurrente est l'Amazone, assez loin devant le missionnaire et la levrette.
Quid de l'argent ? Si elle reconnaît le prendre à la fin du rendez-vous et l'assume pleinement, cela reste pour mon interlocutrice secondaire et agit beaucoup plus comme une barrière. D'ailleurs, du fait de son autre activité professionnelle, cet argent ne lui est pas indispensable. Qu'en fait elle alors ? En quelque sorte, elle le réinvestit, en produit de beauté, en crème, en manucure et autre coiffeuse. En bref, dans son image, son paraître, caractéristique incontournable de l'escorte.
Pratiquant cette activité depuis peu et ne connaissant personne dans ce milieu, Dolores n'est pas sensible au débat politique sur la question de la prostitution. Toutefois, même si elle ne se sent pas concernée dans son cas (très) particulier, elle est plutôt favorable à la réouverture des maisons closes dans la mesure où ces dernières offrent un abri, de l'hygiène et protègent des réseaux mafieux. Pour sa part, elle ressent une petite victoire qu'elle m'explique à travers un exemple précis. Celui d'un homme qui sur le chat l'insultait ayant pour a priori que les escortes sont des femmes sales et bêtes et qui maintenant entretient une conversation normale avec Dolores qui a toujours sur rester égale et posée face à ces réactions.
Alors que notre entretien touche à sa fin, j'exprime à haute voix une réflexion qui me vient spontanément. Dolores n'est pas une escorte dans la mesure où seul l'argent la relie à cette activité et que la rémunération est réellement secondaire pour elle. Je lui fais part de mon observation et la définis plus comme une courtisane, une geisha ou (toutes proportions gardées) une hétaïre grecque à la façons d'une Aspasie. Elle se reconnaît dans le terme de courtisane, d'autant plus qu'un de ses contacts l'appelle ainsi. Elle admet aussi que l'argent peut être un moyen de contrôle, une façon de garder le pouvoir envers les hommes du fait de sa dernière relation.
Dolorès féministe ? Absolument pas. Elle aime profondément les hommes et l'assume. Notre entretien touche à sa fin. Je lui donne la parole une dernière fois pour ajouter un mot. Elle me dit alors qu'elle se sent bien, à l'aise avec ça et dans un rire communicatif me demande qui cela va intéresser. Elle offre alors un élément de réponse en supputant qu'elle va peut-être rassurer certains hommes et donner une image différente des escortes, loin des clichés de superficialité, du manque d'hygiène ou de pure vénalité.

Romain.

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