Cet article n'évoquera aucune des
deux facettes susmentionnées et s'attachera à décrire un cas très
particulier.
Après un premier contact difficile
sur un site de chat à la faune bien étrange et beaucoup de
réticences de la part de mon interlocutrice, je réussis à force
d'argumentations basées sur la confiance et l'absence d'ambiguïté
à obtenir d'elle la promesse d'un entretien. S'ensuivit alors une
longue attente qui ne fit qu'attiser ma curiosité. Une question,
presque triviale, ne cesse de trotter dans mon esprit. A quoi peut
bien ressembler une escorte classe de 45 ans ? Cette attente
d'une dizaine de jours fait naître le doute. Ne va elle pas se
désister finalement ?
Le
matin du 12 septembre, je reçois enfin un mail me donnant
rendez-vous pour déjeuner dans un centre commercial de Poitiers avec
comme seule indication vestimentaire : un tailleur bordeaux.
C'est plutôt maigre. Arrivé au Rendez-vous une demie-heure à
l'avance, je me surprends à scruter les femmes et surtout leur
toilette mais toujours pas de tailleur en vue. Enfin, je vois une
femme qui semble chercher quelqu'un, elle est jolie et paraît plutôt
bien conservée pour son âge. Elle regarde à droite, à gauche
pendant un moment et alors que je m'apprête à l'aborder, son copain
la rejoint. Dans le doute, il est bon de s'abstenir !
Finalement, Dolores (son pseudo
d'escorte) apparaît dans son tailleur (bordeaux il va de soi) et
après les salutations d'usage, nous prenons place pour commencer
l'entretien. D'emblée, elle m’apparaît comme une femme coquette
sans être tape à l’œil toutefois. Indubitablement sensuelle et
dans la séduction. J'allume le micro et lui explique ma façon de
faire. Pas de questions de ma part, je la laisse s'exprimer en lui
demandant juste de parler d'elle. Je sais, par expérience, que notre
échange à bâtons rompus sera plus riche qu'un simple
question/réponse. Dolores se définit alors comme une femme plutôt
libérée sans pratiquer le libertinage ou le sexe pluriel pour
autant. Professionnellement, elle occupe un emploi de commerciale.
Célibataire, elle a décidé de ne plus avoir d'amants à la suite
d'une déception amoureuse, conséquence d'une relation ambiguë, peu
claire dans laquelle elle s'est sentie trahie.
Après trois mois de réflexion, elle
a décidé de se lancer dans l'escorting qu'elle pratique a peu ou
prou depuis six mois maintenant. Avant de pousser plus avant notre
réflexion sur la place de Dolores dans cet univers, il convient de
mieux le cerner. Mon interlocutrice a en fait un parcours de vie
identique à beaucoup d'autres femmes.
Après une première relation de trois
ans durant laquelle elle a découvert le sexe (à 15 ans), Dolores a
été marié une quinzaine d'années et a eu un fils. Dotée d'un
charisme naturel (du fait de sa profession), elle a le sentiment que
son personnage de Dolores (son Alter-ego?) lui apporte plus
d'assurance et la rassure par rapport à son âge. Lorsqu'elle est en
rendez-vous, elle est plus sensuelle, plus femme et elle a tendance à
être encore plus séductrice, féline.
Sa volonté de se lancer dans
l'escorting a été motivé par l'envie de continuer à avoir des
relations sexuelles sans pour autant s'attacher. De fait, elle juge
que la rémunération (100 euros/H) est une barrière efficace contre
les sentiments même si elle avoue pouvoir être touché par un de
ses clients. Ces derniers sont des hommes de 40 à 55 ans (à de
rares exceptions près), mariés qu'elle rencontre sur des sites de
chat. Ils bénéficient généralement d'un bon statut social et sont
commerciaux, artisans, banquiers ou avocats. Et, si Dolores n'a eu
que 12 clients jusque là (à raison de 3 rendez-vous mensuel), c'est
parce qu'elle opère un tri rigoureux. Elle refusera systématiquement
un rendez-vous uniquement pour une fellation et cherche une réelle
réciprocité, se définissant d'ailleurs comme une « amie/amante ».
Sur les chat, elle n'aborde jamais les hommes et ne répond pas quand
le simple « bonjour » n'est pas de rigueur. Dolores voit
dans les formules de politesse une connotation de respect qui lui
donne une première indication sur la personne avec qui elle discute.
De fait, elle est très attentive à la tenue des phrases, au
vocabulaire employé ce qui lui permet de dégager un « profil »
d'autant plus que l'écriture dénote d'un certain niveau
intellectuel.
Une fois le contact établi, celui-ci
est approfondi par mails par le biais desquels Dolores et le client
potentiel échangent des photos. Elle l'informe alors sur ses
exigences (rapports protégés en toutes circonstances) et ses
pratiques (l'anal et les déviances sont proscrits).
Mis à
part un début un peu maladroit (rencontre dans une voiture) , le
rendez-vous est fixé dans un hôtel et plus rarement chez le client
(seulement à deux reprises) entre midi et 18 heures, moment le plus
opportun pour un homme marié afin de s'absenter de son lieu de
travail. Elle privilégie d'ailleurs les hommes déjà engagés tout
d'abord car ils sont liés par un secret mutuel, une sorte de tabou
mais aussi parce qu'ils seront moins enclins au harcèlement et pour
leur disponibilité. Lors de l'acte sexuel, elle laisse le client
prendre l'initiative pour ne pas le frustrer dans son plaisir. Le
plaisir de l'un comme de l'autre représente ce qu'il y a de plus
important pour Dolores lors de l'acte, et, si elle veillera à ce que
son client prenne le sien, elle n'hésitera pas à se satisfaire
soi-même, si elle n'a pas joui avant.
Parfois, elle reçoit des demandes
particulières en terme de lingerie (bas, porte-jarretelles de
différentes couleurs) et Dolores, en amatrice de dessous féminins
(string et boxer d'une marque locale bien connue) s'y plie
volontiers. D'un point de vue purement sexuel, elle admet prendre
beaucoup plus de plaisir ainsi. Tout d'abord car la routine est moins
présente mais aussi car la découverte de l'autre et le jeu de
séduction apportent du piment à l'acte. Étonnamment, le client
semble apprécier la domination de Dolores dans la mesure où la
position la plus récurrente est l'Amazone, assez loin devant le
missionnaire et la levrette.
Quid
de l'argent ? Si elle reconnaît le prendre à la fin du
rendez-vous et l'assume pleinement, cela reste pour mon
interlocutrice secondaire et agit beaucoup plus comme une barrière.
D'ailleurs, du fait de son autre activité professionnelle, cet
argent ne lui est pas indispensable. Qu'en fait elle alors ? En
quelque sorte, elle le réinvestit, en produit de beauté, en crème,
en manucure et autre coiffeuse. En bref, dans son image, son
paraître, caractéristique incontournable de l'escorte.
Pratiquant
cette activité depuis peu et ne connaissant personne dans ce milieu,
Dolores n'est pas sensible au débat politique sur la question de la
prostitution. Toutefois, même si elle ne se sent pas concernée dans
son cas (très) particulier, elle est plutôt favorable à la
réouverture des maisons closes dans la mesure où ces dernières
offrent un abri, de l'hygiène et protègent des réseaux mafieux.
Pour sa part, elle ressent une petite victoire qu'elle m'explique à
travers un exemple précis. Celui d'un homme qui sur le chat
l'insultait ayant pour a
priori que
les escortes sont des femmes sales et bêtes et qui maintenant
entretient une conversation normale avec Dolores qui a toujours sur
rester égale et posée face à ces réactions.
Alors que notre entretien touche à sa
fin, j'exprime à haute voix une réflexion qui me vient
spontanément. Dolores n'est pas une escorte dans la mesure où seul
l'argent la relie à cette activité et que la rémunération est
réellement secondaire pour elle. Je lui fais part de mon observation
et la définis plus comme une courtisane, une geisha ou (toutes
proportions gardées) une hétaïre grecque à la façons d'une
Aspasie. Elle se reconnaît dans le terme de courtisane, d'autant
plus qu'un de ses contacts l'appelle ainsi. Elle admet aussi que
l'argent peut être un moyen de contrôle, une façon de garder le
pouvoir envers les hommes du fait de sa dernière relation.
Dolorès
féministe ? Absolument pas. Elle aime profondément les hommes
et l'assume. Notre entretien touche à sa fin. Je lui donne la parole
une dernière fois pour ajouter un mot. Elle me dit alors qu'elle se
sent bien, à l'aise avec ça et dans un rire communicatif me demande
qui cela va intéresser. Elle offre alors un élément de réponse en
supputant qu'elle va peut-être rassurer certains hommes et donner
une image différente des escortes, loin des clichés de
superficialité, du manque d'hygiène ou de pure vénalité.
Romain.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire